CHAPITRE 13
« J’ai eu horreur de lui mentir comme cela. Je n’aime pas cela du tout », se plaignait Spence. Adjani et lui étaient assis l’un en face de l’autre dans la partie cuisine déserte, devant des tasses à moitié vides de café froid.
« Il n’y avait pas d’autre solution, tu le sais. On en avait parlé et reparlé. Pourquoi y revenir ?
— Je suis désolé, Adjani. » Spence contemplait le visage habituellement lisse et serein de son ami. Il y voyait maintenant des cernes de fatigue autour des yeux noirs et des rides d’inquiétude étirer les coins de la bouche dans une grimace permanente. « Et je suis désolé de t’avoir mêlé à tout cela. Je n’avais pas le droit.
— Je t’en ai donné le droit quand je t’ai proposé d’être mon ami. Ne remets pas cela en question, Spence. Jamais. Compris ? » Adjani baissa encore la voix. Ils avaient l’impression d’avoir toujours parlé à voix basse au cours de ce voyage de retour. « Je sais ce que tu penses, mais tu n’aurais jamais pu garder pour toi un tel secret indéfiniment. C’était trop pour un seul homme.
— Tu crois que Packer est satisfait des explications que je lui ai données ? Il avait l’air plutôt sceptique.
— Je m’occupe de Packer. Je le connais depuis longtemps. Je lui parlerai de nouveau, mais toi, ne dis rien de plus. Il faut t’en tenir à ta version, au moins jusqu’à ce que nous sachions quoi faire pour la suite. Peux-tu me promettre au moins cela ? »
Spence laissa échapper un soupir et acquiesça lentement de la tête. « Je te le promets. Je ne ferai rien de stupide ou de précipité, du moins sans t’en parler avant. Mais je ne pensais pas que ce serait si difficile. Vraiment, je…
— Est-ce que tu imaginais que ce serait comme au retour d’un pique-nique du dimanche ? Ta vie a changé. Tu ne seras jamais plus le même, Spence. Tu as vu des choses que personne n’a jamais vues et tu sais maintenant des choses qui peuvent… eh bien ! changer le monde. Et tu ne peux le raconter à personne. »
Spence regardait fixement devant lui, les yeux dans le vide, en se rappelant les longues réunions avec Adjani au cours des cinq semaines du voyage de retour à Gotham. Et maintenant, quelques heures à peine avant l’arrimage, il leur fallait tout répéter de nouveau.
Il raconta à Packer une histoire de dispute avec Adjani et comment il avait voulu sortir de l’installation quelques minutes pour se calmer. Il ne s’était pas rendu compte qu’Adjani s’était senti blessé, ce qui d’ailleurs n’avait pas été son intention. La tempête s’était levée, il avait perdu tout repère et n’avait pu retrouver son chemin. Spence admettait avoir été sujet récemment à de violents accès de colère et de frustration – probablement le résultat du surmenage – et qu’une chose tout à fait anodine avait pu provoquer l’incident. Adjani avait eu la malchance de se trouver au mauvais endroit au mauvais moment.
Packer accepta cette version des faits, tout comme il avait accepté la version qu’avait donnée Spence de sa survie miraculeuse à la surface d’une planète extrêmement hostile. Il hocha plusieurs fois la tête, passa à plusieurs reprises sa main dans sa tignasse rousse et finit par dire : « Je vois. Très intéressant. » Et ce fut tout.
Il ne l’avait pas questionné davantage sur ces deux incidents et pour cette raison Spence savait qu’il ne l’avait pas cru : Packer avait détecté son misérable mensonge et en avait été trop vexé pour pousser plus loin ses investigations. Spence voulait maintenant se racheter et tout expliquer, exactement comme cela s’était passé. Adjani lui avait conseillé de n’en rien faire et persistait dans son opinion : attendre et voir venir.
« Tu as raison, bien sûr, dit enfin Spence. C’est que je…
— Je sais. Je sais. Tu te sens très seul en ce moment. Mais ne t’en fais pas, je suis avec toi. Nous résoudrons cela ensemble. »
Spence se demandait si Adjani savait, ou avait deviné qu’il y avait plus dans cette histoire que de longs tunnels et des villes oubliées. Il n’avait pas parlé de Kyr, en partie par respect pour le Martien, mais aussi parce qu’il craignait de perdre toute crédibilité. Cela aussi le rongeait. Il se demandait s’il fallait révéler maintenant à Adjani l’existence de Kyr, ou s’il valait mieux attendre un moment plus propice. Non sans regrets, il décida d’attendre.
Il fixait d’un air sombre la tache brune au fond de sa tasse, comme s’il pouvait y lire son avenir et qu’il n’en aimait pas la couleur.
« Tu crois que je cours toujours un danger, n’est-ce pas ? dit-il enfin.
— Oui, je le crois. Et je ne vois rien qui puisse indiquer le contraire. » Adjani se pencha par-dessus la petite table. « Dès que nous serons rentrés, je vais demander qu’on me fournisse toutes les données existantes sur les croyances des Nagas du nord de l’Inde et je les ferai analyser par MIRA pour obtenir un profil. Il en sortira peut-être quelque chose qui puisse nous aider.
— Bon. Et qu’est-ce que je fais en attendant ? Je continue comme s’il ne s’était rien passé ?
— Absolument. D’ailleurs il ne s’est rien passé.
— Tu sais, pendant tout le temps que j’ai passé à Tso, je n’ai fait aucun rêve, je veux dire en dehors des rêves ordinaires. Pas de pertes de connaissance non plus. Qu’est-ce que tu en penses ?
— Je ne sais pas. Mais c’est un autre fait dont il faudra tenir compte dans notre théorie. »
Spence leva lentement les yeux. « J’ai peur, Adjani. J’ai vraiment peur. Je ne veux pas retourner là-bas. J’ai l’impression qu’il m’attend, ton Voleur de rêves, et dès que j’aurai remis le pied sur Gotham, je serai perdu. Impuissant.
— Pas du tout. Nous allons combattre, Spence. Et nous gagnerons.
— Comment peut-on combattre un rêve ?
— Dieu le sait, dit Adjani, et il va nous aider. »
Le signal du retour à l’apesanteur retentit et Spence et Adjani placèrent leurs tasses dans le conteneur fermé. Spence passa la plupart du reste du vol perdu dans ses pensées, s’interrompant une fois seulement pour rire lorsque les cadets, ayant rassemblé tout ce qui restait de leurs réserves d’eau créèrent une piscine suspendue dans l’air dans une des soutes vides. Puis ils se mirent à plonger à tour de rôle dans la grosse bulle d’eau.
Une des choses les plus appréciées était de s’immerger totalement dans la sphère liquide en ramassant soigneusement les bras et les jambes, puis d’y nager comme un poisson rouge dans son bocal. L’effet était garanti et chacun de ces exploits était salué par une avalanche de rires. Spence, comme tout le monde à bord, se déshabilla pour ne garder que son short et se joignit à la fête, oubliant un moment le poids de son secret.
Le reste du temps, il le passait seul, parfois allongé sous son filet de sécurité, ressassant son problème : celui-ci paraissait prendre de plus en plus d’importance à mesure qu’ils s’approchaient de la station. Il était parvenu à l’oublier tant qu’il était sur Mars – d’autres choses, comme la simple survie, l’y avaient aidé. Mais tout lui revenait maintenant et le sentiment d’impuissance et de terreur croissait tandis que le vaisseau filait vers son rendez-vous.
Il était évident que même Dieu – s’il existait, ce que Spence n’était pas prêt à admettre en dépit des croyances d’Adjani et de Kyr –, même leur Dieu ne pouvait rien pour lui. Et d’abord s’il existait, il n’aurait jamais pu permettre qu’il se retrouve dans une situation aussi terrible. C’était son point de vue sur la question. Fin du débat.
Spence s’attendait à voir le port d’arrimage rempli de femmes, de jeunes filles et d’enfants attendant impatiemment le retour de leur bien-aimé mari, amant ou père. Il eut la surprise de voir que, à part quelques petites amies venues accueillir les cadets, et l’équipe de service, la zone était déserte. Pas de foule ni de joyeuses manifestations de bienvenue.
Le débarquement suivait la stricte routine et il en fut presque déçu, mais il savait qu’en ce qui le concernait, il valait mieux être reconnu par le moins de gens possible. C’est pour cette raison qu’il avait endossé un uniforme de cadet. Il se souvint aussi que, ayant été porté disparu, personne n’allait venir l’attendre. Et pourtant, en débarquant au milieu du groupe des cadets, il ne pouvait s’empêcher de scruter les visages pour découvrir celui qu’il espérait voir.
Il espérait, contre toute attente raisonnable, qu’Ari serait là. Il se souvint aussi qu’elle devait probablement le croire mort.
Que ne lui ai-je pas fait ? Pourquoi l’ai-je éprouvée ainsi ?
Il décida d’aller la retrouver aussitôt, mais, avant même d’avoir fait une douzaine de pas dans cette direction, il se retint. Il serait dangereux de réapparaître trop tôt. Il valait mieux attendre et arranger une rencontre dans un lieu sûr.
Comme un espion, et un espion pas particulièrement brillant, il se faufila discrètement, portant avec lui sa mallette de voyage. Il regrettait de n’avoir pas pensé à un moyen de s’assurer du silence de ses compagnons de voyage en ce qui concernait son retour. Cela aurait pu être une carte importante dans son jeu. Mais à la réflexion, cela aurait peut-être eu pour effet d’attirer sur lui l’attention. La meilleure chose à faire était encore ce qu’il faisait maintenant : garder un profil bas et se montrer le moins possible.
Il parvint enfin à rejoindre sa cabine. Après avoir essayé par plusieurs moyens de savoir si quelqu’un l’attendait à l’intérieur du labo, il colla l’oreille contre le panneau d’entrée et écouta un long moment avant de presser la plaque d’accès. Le panneau coulissa aussitôt – aucun code d’entrée n’avait été introduit durant son absence.
Il entra.
Les pièces parurent à Spence particulièrement sombres et silencieuses. Personne ne l’attendait. La cabine de contrôle était vide. Personne, à ce qu’il paraissait, n’était entré là depuis plusieurs semaines.
Il avait choisi d’ignorer l’avis d’Adjani qui lui avait conseillé de ne pas s’approcher du labo. Il voulait le revoir. Voir si tout était resté comme il l’avait laissé. Il n’aurait pas l’impression d’être rentré tant qu’il n’aurait pas revu sa cabine. Il rejoindrait Adjani plus tard.
Il traversa le laboratoire en silence et atteignit sa cabine personnelle qu’il se mit à inspecter. Tout paraissait dans l’état où il l’avait laissé, pour autant qu’il se souvînt précisément de cet état. Et pourtant la pièce lui paraissait étrange. Tout était pareil et pourtant, d’une certaine façon, différent. Spence avait ressenti en entrant comme une compression du temps : comme s’il venait de quitter la pièce quelques minutes auparavant et la retrouvait avec certaines modifications subtiles. Tout ce qui s’était passé depuis son dernier passage dans cette pièce semblait maintenant appartenir au domaine du rêve : un rêve étrange et fantastique. Il se réveillait de ce rêve pour se retrouver dans sa chambre, mais une chambre qu’il ne reconnaissait pas.
Cela n’avait pas été un rêve. Et s’il en doutait, il n’avait qu’à mettre la main dans la poche intérieure de son survêtement pour palper l’objet lisse, ressemblant à un coquillage, que Kyr lui avait donné. Non, il n’avait pas rêvé.
Il glissa sa mallette sous la couchette sans même l’ouvrir et s’installa sur la chaise pour réfléchir au meilleur moyen de joindre Ari. Il décida de lui laisser un message pour lui donner rendez-vous dans le jardin, près de la fontaine.
Spence entra le message sur l’écran du ComCen et signa Mary D., du nom d’une des amies d’Ari. Il espérait ainsi qu’elle viendrait sans se poser de questions.
Puis il s’allongea sur la couchette et s’endormit.
Il se réveilla de bien meilleure humeur. Il se déshabilla et dut se retenir d’introduire ses vêtements dans la trappe menant à la blanchisserie. Il les fourra sous le lit et pénétra dans le sanicube. Il en ressortit tout aussi vite pour enfiler un survêtement propre aux couleurs bleu et or. Il sortit à la dérobée de sa cabine pour aller se perdre dans la circulation de l’allée centrale et rejoindre Ari au jardin.
Quand il parvint à ce niveau, son cœur mit à battre à un rythme inquiétant. Il regarda autour de lui d’un air coupable et quitta le sentier pour pénétrer dans une alcôve de verdure isolée et l’attendre.
Il entendit des pas sur le sentier, puis des voix et il jeta un coup d’œil de son abri pour apercevoir deux membres de la section administrative en promenade et en pleine conversation. Il avala sa salive et sentit sa gorge se nouer. Il n’avait jamais été si ému de rencontrer quelqu’un depuis le jour où, en classe de terminale, il avait invité Béatrice Mercer au bal annuel des Jeunes Astronautes. L’impression ridicule que sa cavalière d’un soir allait réapparaître d’une minute à l’autre devint insupportable. Il se terra encore plus profond dans l’ombre.
Il attendit. Des gouttes de sueur se formaient sur son front en raison de l’humidité et les paumes de ses mains étaient moites. Je suis en train de craquer. Je me conduis comme un gamin de quatorze ans à son premier rendez-vous avec une fille. Il s’efforçait de respirer profondément pour se calmer, mais l’apport d’oxygène lui donnait comme une sensation de vertige.
Au moment où il avait décidé que l’attente devenait insupportable, il entendit, venant du sentier, le pas décidé et aussitôt reconnaissable d’Ari. Elle était venue ! Une fraîche odeur d’agrume précéda de quelques secondes son apparition et il sortit de l’ombre.
Ce fut tout à l’honneur d’Ari de ne pas s’être évanouie sur place. Elle porta ses mains tremblantes et affolées à sa bouche, ouvrit tout grands les yeux et ses lèvres parfaites laissèrent échapper un cri étouffé.
« Oh !
— Salut, Ari. » Il avait voulu imaginer quelque chose d’approprié à lui dire quand il la reverrait et c’est tout ce qu’il avait trouvé.
« Toi… Mais comment ? »
L’instant qui suivit, elle était dans ses bras, effleurant son visage de ses mains tremblantes, pressant la chair de son corps comme pour s’assurer qu’il était bien là, solide et vivant. Il la serra contre lui, pour se pénétrer intérieurement de son souffle et de sa vitalité.
« Spence, oh ! Spence ! » ne pouvait-elle s’empêcher de répéter. Il sentit une tache humide sur son cou et lorsqu’il relâcha son étreinte pour la regarder à bout de bras, il vit les larmes qui coulaient sur ses joues.
« Pardonne-moi », murmura-t-il. Et il l’attira de nouveau dans ses bras. « Il n’y avait pas d’autre solution. Il fallait que je…
— Chut, ne parle pas. Ne dis rien. Oh ! mon chéri ! Ils disaient que tu étais… Mais non ! Tu es là !
— Je suis là.
— J’ai cru que je ne te reverrais jamais. » Elle se détacha de lui et dans l’expression de son visage il voyait un curieux mélange de douleur, de colère et de joie. « Je n’espérais même pas, jamais je n’ai rêvé… j’ai pleuré à cause de toi. J’ai tellement pleuré. Et pas un mot pendant si longtemps. Rien. »
Elle avait l’air sur le point de vouloir taper du pied de dépit devant son manque d’égards. Il essayait de trouver les mots pour lui dire combien il était désolé de lui avoir fait de la peine, mais il n’y avait pas de mots. Il baissa la tête.
Puis il sentit la fraîcheur de sa main sur sa joue et il leva les yeux pour rencontrer les siens.
« J’ai bien cru, moi aussi, que je ne te reverrais jamais, dit-il. Je… Je suis désolé. Je t’aime. »
Ari le serra très fort. « Moi aussi, je t’aime, Spencer. Ne me quitte plus jamais.
— Il faut que nous trouvions un endroit à l’écart, où nous puissions parler. Personne sur Gotham ne sait que je suis revenu, du moins pas encore. Et j’aimerais bien qu’il en soit ainsi encore quelques jours, si c’est possible.
— Viens. Je connais un endroit secret dans le jardin où nous pouvons être seuls. Je l’ai découvert la première fois que je suis venue ici. Personne d’autre ne semble le connaître. »
Elle le guida, tenant fermement sa main dans la sienne, jusqu’à un endroit où l’un de ces petits ruisseaux artificiels coulait le long d’une rive recouverte de fougères. Elle écarta les fougères et enjamba l’eau. Spence la suivit et il se retrouva dans un endroit vert et ombragé, baigné d’une douce odeur de gardénias. Autour de lui, des buissons entiers étaient couverts de ces fleurs si lumineuses contre le fond vert foncé du feuillage.
Ari l’entraîna sur un lit d’herbes hautes. Pendant quelques secondes, les seuls bruits perceptibles furent celui du ruisseau et de son propre pouls résonnant à ses oreilles. Puis il l’embrassa et plus rien au monde n’exista que cet instant et ce baiser.
Quand ils se détachèrent, Ari le regarda, buvant sa présence de ses yeux bleu foncé, brillants en cet instant d’excitation et de joie.
« Et maintenant », dit-elle en ramenant ses genoux sous son menton et les entourant de ses deux bras. « Raconte-moi tout. Je veux tout savoir.
— Cela ne me paraît même plus important.
— Tant pis. J’ai envie de savoir. J’ai besoin de savoir, Spence.
— Bon. Je ne te cacherai rien », dit-il et il réalisa aussitôt que la partie la plus importante de son aventure, son séjour à Tso en compagnie du Martien Kyr, ce miracle incroyable, il ne pouvait en parler. Et son cœur se serra.
Ari dut lire quelque chose dans l’expression de son visage. « Qu’est-ce qu’il y a, mon chéri ?
— Il y a une chose que je ne peux pas encore te dire. »
Elle ne lui facilita pas la tâche. « Oh ? » dit-elle, l’air déçu.
« J’ai dit pas encore.
— Je comprends. » Mais elle ne comprenait pas du tout.
« Je te promets de t’en parler bientôt. Je ne veux pas qu’il y ait de secrets entre nous, jamais. Mais pour le moment, c’est ainsi que les choses doivent être.
— Tu as raison. » Ari était comme soulagée. « Je te fais confiance, Spence. Dis-moi tout ce que tu peux me dire. Je ne te demanderai pas de détails. Mais tu as été absent si longtemps. J’ai seulement envie de savoir tout ce que tu as fait depuis la dernière fois que je t’ai vu. »
Spence respira profondément et se mit à lui raconter tout ce qui s’était passé depuis son départ, à commencer par le voyage et l’arrivée sur Mars, puis cette première nuit et ce qui l’avait amené à se perdre sur le sol de la planète tandis que la tempête faisait rage autour de lui. Il raconta l’épuisement, le froid mortel et sa chute dans la fracture, sa découverte d’une fissure et du tunnel. Puis il s’interrompit, ne sachant comment poursuivre.
« Il y a quelque chose dans ce tunnel dont tu ne veux pas me parler. »
Il acquiesça de la tête. « C’est vrai. Je ne peux pas en dire plus pour le moment. »
Ari avait le regard fixé sur la voûte que formait au-dessus d’eux la végétation ; un rayon de soleil la traversait et illuminait sa chevelure d’un reflet doré. « Très bien, dit-elle d’une voix très douce. Bien que je meure de curiosité, je ne te forcerai pas. Cela n’a aucune importance. Tout ce qui compte est que tu sois ici avec moi sain et sauf. »
Dans l’abri de leur nid de verdure, ils s’étreignirent et continuèrent à se parler à mi-voix de choses intimes, de promesses, jusqu’à ce que la fermeture des panneaux solaires produise une sorte de crépuscule.
« Il faut partir », dit Spence en aidant Ari à se relever. Il la serra dans ses bras et l’embrassa une fois encore. « Jusqu’à notre prochain rendez-vous.
— Quand pourrai-je te revoir ?
— Demain, j’espère. Ici. À la même heure qu’aujourd’hui. Si j’ai besoin de te joindre d’ici là, le message sera signé Mary D.
— Tu ne retournes pas au labo ?
— Non, je vais m’installer chez Adjani. Vous êtes les deux seules personnes en qui je peux avoir confiance maintenant.
— Tu as l’air de dire qu’il y aurait un danger.
— Je pense qu’il vaut mieux considérer que c’est le cas jusqu’à ce que j’aie pu évaluer plus précisément la situation. Prolonger un moment ma disparition ne peut que nous aider.
— Je ferai tout ce que tu veux. Tu le sais.
— Je sais. » Il l’attira vers lui et l’embrassa furtivement. « C’est un au revoir pour aujourd’hui. Jusqu’à demain.
— Demain. » Elle fit demi-tour et écarta les fougères qui barraient l’entrée de l’alcôve secrète. « Dors bien, mon chéri. Et ne te laisse pas attraper par le Voleur de rêves. »
Il ne réalisa pas tout de suite la portée de ces mots. Mais bientôt ils se mirent à brûler à travers son cerveau. Il ressentit comme un fourmillement glacé enserrer son crâne. « Qu’est-ce que tu as dit ? » demanda-t-il d’une voix étranglée.